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 Jazz-rhapsodie pour musique et philo

Penser ce qui devient, déchiffrer les signes, pour résister à la médiocrité nihiliste et produire une jubilation!...

Y a-t-il une objectivité des événements?

Publié le 15 Juillet 2012 par Bernard Petit in Vivre et philosopher

 

 

 

 

Y a-t-il une objectivité des événements ?

 

 

   On a souvent à déplorer que des témoins ou des journalistes manquent d’objectivité par rapport à l’événement qu’il racontent parce que l’on observe trop de différences dans les récits et les descriptions : trop d’interprétations multiples les rendraient toutes arbitraires.

   Mais certains se félicitent de cette diversité, signe de liberté et preuve de la relativité de la vérité. Rien n’est vrai, peut-être, mais au moins chacun est libre d’en penser ce qu’il veut. Vouloir imposer au non de la science une version objective des faits, ce serait vouloir formater les esprits et imposer un uniforme dogmatique à la pensée. Plutôt sacrifier la connaissance que la liberté!... 

   

 

   Mais est-ce si simple ? On voit assez mal pourquoi aucune objectivité n'est souhaitable et  où serait son danger pour la liberté de penser. Par contre, on entrevoit mieux les risques d’un scepticisme et d’un relativisme à l’égard des sciences : soit personne ne s’entendra plus sur quoi que ce soit, puisque toutes les interprétations seraient équivalentes ; soit chacun adhérera aux discours les plus séduisants et les plus faciles, car nous n’aimons pas toujours faire beaucoup d’efforts de raisonnement critique.

   La difficulté est plutôt de savoir à quelles conditions cette objectivité est possible. L'esprit scientifique pense qu'elle l'est; mais ses objets ne sont pas des événements au sens propre, plutôt des phénomènes caractérisés par des invariants observables et mesurables par tous, et donc ce sont en principe des faits reproductibles (l'eau qui bout à 100° Celsius,etc. ). Mais un événement semble plutôt en effet constitué par un sujet, individuel ou collectif, par une combinaison de données objectives et d'interprétations subjectives où entrent en jeu des habitudes, des préjugés, des intérêts, des passions... Il est alors douteux qu'il existe une objectivité de l'événement en lui-même, car s'il n'est pas reproductible (comme un phénomène mesurable) il n 'y a aucun moyen de vérifier par expérience que tel témoignage est plus "objectif" que tel autre.

     C'est une position relativiste: il n'y a pas de faits "tels quels", il n'y a que des interprétations de relations avec des parties de notre monde. Est-ce une position sceptique et anti scientifique? Certes non! ... La science est faite de procédures, de méthodes, d'usages instrumentaux et d'opérations de validation qui sont par définitions disponibles au travail de ce qu'on peut appeler la communauté scientifique internationale. Une vérité scientifique est objective si elle résiste à l'ensemble des tests disponibles aux membres autorisés par cette communauté scientifique. Les critères d'objectivité sont donc à la fois logiques, techniques et conventionnels, mais ils ne sont pas arbitraires ou "idéologiques": il est objectivement indiscutable que 2+2=4 et que la Terre tourne autour du Soleil en 365 jours1/4.  Mais cette objectivité est humaine, constituée par l'histoire de la connaissance humaine et les facultés du sujet humain de la connaissance; en tant que telle, elle doit demeurer ouverte à la discussion rationnelle et aux tests expérimentaux. La science existe, mais elle ne peut cesser d'être un processus critique indéfini.

   Quant aux conflits d'interprétations, et notamment avec celles qui s'opposent aux critères d'objectivité pour définir un événement, cela peut se comprendre par la confusion entre "le fait immédiat" et ses traces biopsychiques et matérielles (les documents de toutes sortes). Il est possible de trouver des caractères objectifs dans les documents dans la mesure où l'on peut les examiner à loisir avant que le temps ne les détruise : mais comment faire pareil pour les souvenirs primitivement imprimés dans les sens et la mémoire individuelle? Pour qu'une représentation puisse être examinée, il faut un premier signe qui l'extériorise: dès que j'exprime mon impression première, je la transforme en signification "secondaire", de sorte que l'impression première reste invérifiable.

    En ce sens, nous sommes condamnés au conflit des interprétations; mais nous pouvons toujours les discuter et trouver des compromis utiles, grâce au langage et autres moyens de communication. L'homme est une espèce tragique mais extrêmement ingénieuse!

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