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 Jazz-rhapsodie pour musique et philo

Penser ce qui devient, déchiffrer les signes, pour résister à la médiocrité nihiliste et produire une jubilation!...

cinema

La Fuite et la Fiction (inspiré par le film Avatar,2009,J.Cameron).

Publié le 1 Janvier 2012 par bernard petit dans Cinéma

 

    - La fuite et la fiction.

« Fuir là-bas, fuir !je suis hanté :l’azur, l’azur,l’azur, l’azur ! » écrit Mallarmé. Qu’est-ce que fuir ? La fuite d’eau, la fuite du temps, la fuite de l’ennemi, la fuite du lâche sont des passages ou des mouvements de directions indésirables : mais ont-elles quelque chose en commun ? Qu’ont-elles à voir avec le passé du verbe être latin esse, fuit ?

   - On pense communément qu’une utopie est une fiction politique, le projet imaginaire d’un monde idéal : littéralement, l’utopie est ce qui n’a pas de lieu, pas de place dans le monde actuel. Figure de l’impossible souvent calquée sur la négation de certains aspects du monde réel : on imagine un monde paisible, fraternel et beau, parce qu’on voudrait exclure la violence et la laideur du monde réel.  On ne considère pas un roman pessimiste, un conte cruel ou un film violent comme des utopies, lorsque leur fictionnalité  se réfère à un monde vraisemblable, autrement dit possible aux mêmes conditions que notre monde réel (ou reconnu comme tel), présent ou passé. La fiction utopique est chargée de nous sauver d’une nécessité négative du réel, tout au moins d’envisager la possibilité de ce salut.

    Mais en un sens précis, aucune fiction n’est sans référence à un monde, c’est-à-dire un espace temps relatif aux conditions anthropo-culturelles dont la fiction est issue : car nous ne pouvons pas imaginer un monde inhumain et culturellement neutre sans que les forces de notre imagination ne se rapportent à ce que notre esprit connaît et peut connaître du réel. L’imagination est une variation continue de la mémoire ; et tout événement nécessite un espace temps, matériel ou symbolique (peut-être les deux).  Certes, l’imaginaire ne reproduit pas le réel ou sa connaissance, mais l’imagination ne peut procéder qu’à partir du vécu et du connu.

   D’où l’intérêt affectif et intellectuel des fictions mythologiques, poétiques, fantastiques ou « technoscientifiques » : les plus délirantes sont perçues à la fois comme impossibles et comme évocatrices de notre condition humaine « d’êtres-dans-ce-monde » culturellement déterminé ; elles se donnent comme des irréalités susceptibles de nous instruire sur notre existence réelle et possible ; et sans la perception de telles données, elles sont à peine reconnues comme productions effectives, au mieux reléguées à de puérils amusements.

   En effet, s’il n’y a qu’un seul univers au sens « physique » (mais il y aurait à redire sur cette notion et ses postulats « scientifiques »), il y a une multitude de mondes possibles impliqués dans les virtualités indéfinies de cet univers « réel ». Mais nous n’avons aucune raison solide de croire que tous les êtres coexistant dans l’univers physique actuel appartiennent à un espace-temps commun : cela supposerait qu’ils puissent se rencontrer ou communiquer d’une manière quelconque, en temps et lieux déterminés, autrement dit qu’ils puissent composer des faits communs, seule confirmation de la réalité d’un être pour une conscience capable de la penser. Or, la communauté de tous les étants est une idée peut-être nécessaire, mais non une donnée de fait ; et la différence est ici aussi grande qu’entre la possibilité d’une vie intelligente extra terrestre (qu’aucune raison ni aucun fait ne semblent pouvoir interdire), et sa connaissance de fait réellement constatée. De sorte qu’il est tout à fait possible que des civilisations extra terrestres existent, aient existé ou puissent exister « un jour », et qu’aucune preuve de fait n’en parvienne jamais à la connaissance de l’humanité, ni même d’aucune intelligence terrestre.

   Un proverbe dit que « seules les montagnes ne se rencontrent jamais » : à l'échelle cosmologique, c'est un peu stupide, puisqu’il y a des tas de choses et d’êtres que des tas de gens ne rencontrent jamais avant leur disparition, qu’il en est probablement ainsi de toute nécessité et de toute éternité. Il est même permis de penser que c’est très bien ainsi. 

    En fin de compte, toute fiction est une utopie, bonne ou mauvaise, puisqu’elle renvoie à un espace temps où des événements sont physiquement possibles et culturellement intelligibles, sans être pour autant réalisables : car il est de la nature de nos représentations de différer (plus ou moins mais toujours) de la réalisation, comme le possible diffère par nature du réel. Les fictions sont des productions symboliques qui ont leur propre mode d’existence nécessaire et suffisant ; en tant que telles, elles forment et nourrissent nos imaginaires, et inspirent nos réalisations humaines. Mais elles ne les produisent pas directement et précisément : « les idées deviennent des forces matérielles quand elles pénètrent les masses », écrit Marx. Mais c’est aussi dire qu’elles sont vouées à se transformer, et que c’est à cette  condition qu’elles peuvent agir dans le monde.

    Comme les rêves, les fictions et les utopies sont en eux-mêmes des modes d’existence et d’action, et pas seulement comme dispositions abstraites pour des réalisations éventuelles. Les représentations humaines, projets, images ou idées ont leur propre statut de réalité, même s’ils n’existent que pour des êtres conscient: ils sont des faits psychiques en tant que tels, et n’ont pas besoin d’une autre réalisation pour exister ou être justifiés.  Le rêve le plus fugace et le plus obscur a déjà une virtualité d’existence objective pour la conscience du rêveur ; transformé en récit énigmatique, il est déjà un symbole et un matériau d’interprétation, c'est-à-dire autre chose qu’un vécu brut. C’est pourquoi toutes les utopies politiques tournent « mal », du seul fait qu’elles commencent à « tourner » ; et c’est pourquoi nous n’aurons jamais fini de créer des utopies, comme des mondes parallèles irréalisables mais qu’il nous suffit de fantasmer et de méditer.

    Ce n’est pas parce que nous voulons réaliser des projets nourris de certains rêves,

que nous avons intérêt à les réaliser tous. La réalisation d’un projet est une transformation réelle, qui devient autre chose que le projet initial. Si un rêve est un rêve, ce qui se réalise n’en est plus un !...

 

 

 

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L’art des titres

Publié le 11 Avril 2010 par bernard petit dans Cinéma

 

    Le titre d’une œuvre est souvent un ornement plus ou moins significatif du contenu, encore plus rarement de la forme. On a souvent le sentiment que leur relation est arbitraire, qu’elle s’est imposée du dehors à l’auteur, par hasard, par obligeance ou complaisance ou contrainte de publication. Pourtant ne faut-il pas un titre ? Même cette formule qu’on trouve parfois en musique, en peinture ou en littérature :« Sans titre », c’est encore un titre, qui signale ici la limite de l’arbitraire, de la fantaisie et de la convention dans la communication des œuvres d’art.

    Mais au fond, cette nécessité d’un titre, aussi arbitraire soit-il, est bonne et consubstantielle au travail de l’œuvre. Non seulement parce que le titre constitue l’entrée et l’interface de l’œuvre avec son public,mais parce qu’il enrichit son sens en continuant l’histoire de sa production par celle de sa communication, et donc de ses interprétations.

    Sans doute le titre traduit-il autant le monde auquel il s’adresse que la pensée propre de l’auteur ; et si comme on dit en italien, « Traduttore, traditore ! »(traduire, c’est trahir), on peut ajouter que traduire, c’est aussi créer du texte et du sens, car aucune traduction n’est donnée, dans aucun texte ni  dans aucune langue particulière, comme une propriété immanente endormie, que le traducteur ne ferait que réveiller ; et en traduisant l’œuvre,le titre prolonge le geste créateur en baptisant la créature.

     Dans la Genèse biblique, c’est l’Eternel qui nomme sa création le 6e jour ; c’est la Mère qui donne un nom à son nouveau-né ; mais au fond cette nomination, cet intitulé, ce baptême ont en commun le geste de la livraison de la créature au monde, une destination au monde qui signale aussi l’abandon de fait d’une partie des «droits » de l’auteur sur sa créature : on ne crée pas un individu pour le maintenir en fusion avec soi. Individuation et création vont de pair, et une création est toujours une double individuation : celle du créant et celle du créé. Ainsi le titre est un rouage de transmission qui facilite la connexion de deux opérations hétérogènes : la fécondation immanente d’un individu par un autre (sorte de scissiparité), et l’accueil de ce nouveau né par la communauté humaine, en même temps que la reconnaissance de son auteur. Aussi le titre marque-t-il la « re-co-naissance » de deux individus et de deux directions du temps : pour l’auteur, le passé ; pour l’œuvre,le futur.

 

 

 

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Cinéma et progrès

Publié le 19 Février 2010 par bernard petit dans Cinéma

 

 

     Le cinéma a toujours eu le souci de la sonorisation, dès le muet, tout de suite accompagné de « musique de fosse » selon les termes de Michel Chion : l’obstacle technique à la synchronisation a dû être décisif dans les orientations esthétiques des trente premières années du cinéma. Mais précisément, ce désir de sons et de musique a été un moteur de création d’images : on a cherché à les faire parler, danser et chanter avec des moyens strictement visuels, kinésiques et bidimensionnels, mais différents de toutes les disponibilités existantes dans les autres arts : théâtre, littérature, musique, danse,peinture, sculpture, architecture,etc.

    C’est peut-être une des raisons de dire avec certains que le cinéma parlant synchronisé n’a guère innové en composition d’images pendant les années 30-60. Ce serait bien sûr faux dans le détail historique, mais relativement juste en comparaison de l’effort de création considérable de la période « muette », responsable de l’essentiel du vocabulaire et de la syntaxe cinématographiques. Comme les progrès techniques se sont accélérés et diversifiés après la 2e Guerre Mondiale (technicolor, phonographie, « réalisme » des effets spéciaux), on eut tendance à exalter l’évolution de cette période en se figurant la période pionnière comme une sorte « d’antiquité médiévale », enfin comprise comme elle le mérite par ces Temps Modernes pleins de Lumières actuelles!... Comme il est de règle dans l’histoire des arts, on tendit à confondre progrès techniques avec progrès esthétiques et spirituels.

     Or, si l’évolution technique est corrélative de celle des arts, elle n’implique nullement un progrès au sens d’un perfectionnement. On pourrait même discuter l’évidence du progrès technique et de sa nécessité dans les derniers siècles, si l’on veut bien reconnaître que la valeur de la technique doit être estimée par tous les aspects de la culture qui la comprend, et pas seulement selon une rationalité techno économique abstraite du reste de la civilisation. Chacun à leur manière, Leroi-Gourhan, Simondon ou Deleuze montrent notamment qu’il est impossible de réduire l’existence des objets techniques à des significations technologiques  qui ne correspondent pas aux pratiques réelles de la plupart des hommes : tout objet technique est aussi utilisé de façon non technique, et symboliquement connoté dans plusieurs directions psychologiques, esthétiques, sociopolitiques ou religieuses. En ce sens,une technique n'est jamais seulement une technique.

 

 

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Grandeur et misère du cinéma?...

Publié le 19 Février 2010 par bernard petit dans Cinéma

   Le cinéma n’est pas un art mais un groupe d’arts, un art des mélanges d’arts: dans ses procédés, ses auteurs, ses organisations, ses publics, tout concourt à en faire un formidable melting pot culturel planétaire (voire interplanétaire !). Il ne pouvait surgir que dans une civilisation productiviste, consumériste et démocratique, menacée de plusieurs côtés par la décomposition : il est un remède à l’hétérogenèse culturelle
de la mondialisation. D’où son importance sociale dans les immenses empires que sont les USA, les Indes, la Chine. On a dit que son impact était menacé par la télévision, la vidéo, l’internet : mais ces menaces sont-elles si redoutables ?   

    D’abord, rien ne saurait régner sans partage, en ce monde comme dans tous les autres : toute puissance doit affronter des résistances, et ce qu’on appelle pouvoir absolu (l'omnipotence divine mise à part, toute hypothétique) n’est en réalité que le sommet ultime d’une hiérarchie pyramidale, un pouvoir de dernière instance et non un pouvoir unique, mais représentant le tout de la hiérarchie consentante.

   Ensuite, les media audiovisuels succédant au cinéma ont soit copié  ses procédés, soit inventé leurs langages avec leurs moyens, qui sont forcément différents : chaque medium se sert et s’inspire des autres, c’est probablement le cas depuis les débuts de la culture. Ainsi, cette rivalité menace ses formes anciennes, non sa productivité générale ; et les formes anciennes auraient dans tous les cas disparues.

   On peut aussi penser que cette rivalité stimule le cinéma, comme la peinture le fut par la photographie au XIXe. Car enfin, les forces productives du cinéma (personnels, moyens techniques et financiers) restent bien supérieures à celles de ses rivaux, si l’on considère ce qu’elles peuvent faire pour un film, alors que des moyens comparables dans les autres genres ne sont mobilisables que pour des productions en séries.

     Par ailleurs il faut distinguer le cinéma des arts opératiques ou de performance,qui mélangent aussi tous les arts dans l’horizon d’un art total (dans le sens de Marx, de Wagner ou  d’autres). Dans l’opéra, les œuvres de chaque art coexistent par juxtaposition dans un espace temps relativement hétérogène : la scène est un artifice discrètement dissimulé mais que chacun sait reconnaître; le public n’en est jamais très loin, et intervient par ses propres réactions (applaudissements, cris, sifflets,…) ; comme dans tout art de performance, l’œuvre et le public sont en interaction réelle. Dans le cinéma, le public est toujours hors de l’écran, et le film ne peut viser qu’un public virtuel : on peut le projeter dans un salle vide sans que les performances des acteurs et des auteurs en soi affectées. Au sens strict, un film s’adresse à tous et à personne, comme le Zarathoustra de Nietzsche. C’est une image mobile sur un écran fixe, à laquelle tous les arts ont  participé pour un résultat fusionnel, une vision bidimensionnelle unifiée par le montage.  C’est pourquoi on peut dire avec Deleuze que le cinéma a plus à voir avec la musique qu’avec les arts plastiques, le théâtre ou  la littérature, même s’il s’en inspire beaucoup pour ses contenus. Mais  précisément : tous les contenus sont cinématographiques parce qu’aucun ne définit sa «substance», qui procède uniquement du « regard final » des caméras et de la réalisation (l’idée vaut d’ailleurs pour tous les modes d’expression, chacun en leur sens).    

     Enfin, il faudrait parler de la danse adaptée au cinéma. Michel Chion (1995, La musique au cinéma) suggère que le jeu des acteurs tient plus à la chorégraphie qu’au jeu théâtral, et qu’il existe une relation fondamentale entre cinéma, musique et danse. Idée prometteuse qui permettrait de mieux comprendre la fascination particulière exercée par les films musicaux et dansants (pour ne pas dire comédies musicales, car West side story, les Parapluies de Cherbourg, ou Cabaret ne sont pas vraiment des comédies). Singing in the rain, en ce sens, peut-être vu comme une métaphore complète de l’essence du cinéma, et pas seulement d’un genre, la comédie musicale, ou d’une période de son histoire, la naissance du cinéma parlant.

 


 

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Le sens du comique

Publié le 19 Février 2010 par bernard petit dans Cinéma

  

   Si longtemps sans écrire ici, ça ne fait pas très sérieux!… Heureusement qu’il ne s’agit pas de « faire sérieux », mais de faire palpiter le sens (et pas seulement les sens !), et ce n’est pas toujours pareil…  

   Mais le comique et le rire ne valent pas forcément mieux que le sérieux des convenances.

Le philosophe Henri Bergson disait des choses saisissantes dans Le Rire : que le comique est une façon de corriger les écarts d’adaptation des individus ou des groupes par une "douce" humiliation, un effet de surprise qui provoque le rire, qui est toujours une sanction sociale associée à un acte d’intelligence. Ainsi l’humour le plus absurde et le plus inconvenant serait encore un « rappel à l’ordre » social et intellectuel, une façon de sanctionner la stupidité antisociale. C’est pourquoi la force comique est si répétitive, et au fond si normative : elle détruit et redresse, plutôt qu’elle ne s’aventure hors de sentiers battus.

   En regard de son expérience, et des formes d’humour actuelles, chacun pourra apprécier la vérité de ce principe en cherchant des conséquences. Par exemple :

que l’humour n’est pas toujours un art palpitant, et que beaucoup de blagues et autres productions humoristiques ne sont ni novatrices ou révolutionnaires, mais plutôt conventionnelles,commerciales et conservatrices;

que ce qui fait la grandeur de Molière, de Charlot ou de Woody Allen, c’est qu’ils ne sont pas seulement drôles, mais aussi inventifs et intelligents ;

qu’il n’y a rien de drôle dans une révolution, et que le sens de l’humour ne peut participer qu’à de « drôles de révolutions », toujours parodiques ;

etc.   

   Il y a pourtant une puissance libératrice du comique : une dépense physique dans le rire (sa vertu médicale), et un défoulement symbolique et psychique dans les pensées qui le provoquent. Bergson dit bien que la pensée travaille ici pour la vie et contre sa mécanisation uniforme : « le comique est du mécanique plaqué sur du vivant ».

   Mais le paradoxe n’est qu’apparent : car il y a des machines émancipatrices de la vie.

Et même, selon certains (Bergson lui-même,Jules Verne,Deleuze et Guattari,et peut-être tous les artistes en général…), les machines sont des opérateurs de vitalité, même quand elles contrôlent les individus, formatent les corps, torturent les «âmes», ou tuent l’esprit (ici encore,chacun pourra trouver des exemples…).

 

 

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