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 Jazz-rhapsodie pour musique et philo

Penser ce qui devient, déchiffrer les signes, pour résister à la médiocrité nihiliste et produire une jubilation!...

Pourquoi la pensée peut hésiter à se publier (aujourd’hui…).

Publié le 30 Septembre 2010 par bernard petit dans Vivre et philosopher

          

   Le mode d’expression fait partie de l’existence même de la pensée : il est sa réalisation et son interprétation en même temps. Nous devons nous douter qu’une grande partie des pensées restent « lettres mortes » (mais en un sens proche des « natures mortes » qui peuvent être bien vivantes en peinture),intimes, privées, discrètes  sinon secrètes, voire inconscientes, au moins au sens de Leibniz : non seulement possibles mais virtuelles, réelles sans être actuelles.

    Devant de telles pensées, nous avons néanmoins souvent un sentiment irréductible d’inachèvement : penser sans s’exprimer n’est penser qu’à moitié. Deux raisons sérieuses semblent justifier ce sentiment, l’une altruiste, l’autre égoïste :

   1) si la pensée peut être bonne et utile à d’autres êtres pensants, la partager relève d’un devoir de bienfaisance et de transmission; si elle peut leur être nuisible, c’est un devoir d’honnêteté : dans les deux cas, on doit permettre à autrui d’en juger ;

   2) il y a un bonheur de l’expression, un incomparable «plaisir du texte » (Barthes) à nulle autre pareil : jubilation complexe d’écriture, de formalisation et de lecture de la pensée par elle-même, en son mouvement de spirale réfléchissante, cette joie spécifique de la communication certaine de sa pérennisation, nécessaire à l’accomplissement de la pensée et à la réalisation de l’esprit. C’est pourquoi une société qui interdit la liberté d’expression est moins souhaitable que celle qui l’autorise, même si l’interdit de la parole ne peut s’étendre à la pensée. Le penseur privé est donc forcément un penseur frustré, ce qui dévalorise sa pensée, et la pensée en général.

 

     Contre ces arguments, plusieurs objections non moins sérieuses, quoique plus discrètement utilisées, sinon oubliées.

1)     La crainte des malentendus, dont les risques sont entretenus et renforcés par la vitesse technologique, la concurrence socioéconomique, les tendances « idéo médiatiques » et les préjugés les plus communs ;

2)     Corrélativement, la coupure entre l’actualité et la postérité : si l’on cultive trop la communication rapide et sans nuance, les œuvres de « longue portée » sont forcément désavantagées par rapport aux œuvres d’actualité « à la mode », Diderot devient un  pornographe, Marx,  un idéologue stalinien, Nietzsche, un prophète nazi, Bergson, un apôtre de la mondialisation à tout prix, Deleuze, un éducateur de créatifs publicitaires, etc.

3)     La méfiance misanthropique, face aux pouvoirs d’abrutissement des masses, et à leur participation active à la crétinisation des œuvres ;

4)     La honte occidentale et le désespoir nihiliste d’être humain, devant les abominations de

     l’époque et ses perspectives aberrantes et limitées;

5)     La désorientation mystique, face à la misère symbolique croissante de la culture contemporaine.

   A ce stade, on conviendra que le devoir et le bonheur de communiquer n’ont pas la partie gagnée d’avance. D’où la nécessité d’une foi quelconque, sans laquelle il n’y a pas de futur : il faut y croire, sans savoir d’abord à quoi il faut croire, car ce n’est pas le contenu de la croyance qui compte, mais sa forme d’énergie (son morpho dynamisme).

   Qu’importe la croyance, pourvu qu’elle nous motive.

 

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