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 Jazz-rhapsodie pour musique et philo

Penser ce qui devient, déchiffrer les signes, pour résister à la médiocrité nihiliste et produire une jubilation!...

Une passion du sacré: le fanatisme

Publié le 2 Mars 2010 par bernard petit in Vivre et philosopher


 

    Un Etat de droit laïque doit protéger les libertés ou droit civiques des personnes physiques et morales (individus et associations), en particulier la liberté d’expression et la liberté d’opinion. Une partie de ses applications concerne la liberté de conscience et de culte : chaque citoyen a le droit de croire et de pratiquer la religion qu’il choisit ou accepte, et le devoir de respecter ces pratiques chez les autres, tant qu’elles ne portent pas atteintes à l’ordre public et à cet Etat de droit. D’où l’axiome juridique : « la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres ». Dans une telle culture juridico politique, les accusations de sacrilège, profanation ou blasphème posent une double question : de droit ou principe, et de fait et de méthode.

   La question de principe est celle des limites de chaque droit ou liberté civique : lorsque deux droits entrent en conflit d’intérêts, comme la liberté d’expression et la liberté de culte, lequel doit être prioritaire ? Il semble que les hésitations des autorités viennent de ce doute : la liberté religieuse n’est pas une liberté d’expression et d’opinion comme les autres, parce qu’elle touche au sacré par excellence. Publier librement un livre ou un film satiriques ou anti fanatiques est-il moins important que permettre les pratiques sacrées d’une communauté de fidèles, même les plus irrationnelles ?  Le législateur doit décider ici de la priorité entre la raison et le sacré : la laïcité imposerait logiquement la raison contre la superstition, tant que l’œuvre culturelle ne menace pas directement l’ordre public. Mais lorsque des fanatiques s’insurgent contre une œuvre satirique, qui menace le plus l’ordre public ? Là surgit la question de fait.

   La question de fait est celle de l’appréciation du fait de violation d’un droit, et de l’importance publique de cette violation. Lorsque je publie une satire de Jésus ou de Mahomet, je ne touche directement ni Jésus ni Mahomet, ni aucune personne physique du christianisme ou de l’islam ; je ne touche que des symboles, pas même les personnes morales de la chrétienté ou des communautés musulmanes en général, puisque je n’oblige aucune personne, religieuse ou non, à connaître l’œuvre que je publie. Je  propose une œuvre à la disposition d’un public considéré comme libre de choisir de découvrir,d’apprécier ou d’ignorer cette œuvre  (laissons de côté pour l’instant la question des forces de propagande, des médias qui peuvent servir aussi bien l’art satirique que la religion). Si je n’empêche pas les discours qui défendent le sacré, on ne peut empêcher mes discours qui attaquent ce sacré : principe de tolérance mutuelle.

   Reste la question des forces de propagande qui interviennent dans la manière dont le juge va apprécier l’impacte d’une satire ou d’une conduite fanatique : où situer le seuil d’intolérance et de violation du droit? Où commence la menace de l’ordre public ? Si l’on fait beaucoup de bruits médiatiques autour d’une petite affaire de dessins humoristiques, ou de voiles religieux portés par quelques centaines de personnes sur soixante millions, il est permis de s’interroger sur la légitimité d’une intervention des autorités judiciaires, exécutives et surtout législatives : faut-il vraiment déranger les institutions pour des faits divers et des anecdotes de quartiers, fussent-ils parisiens ou copenhaguois?

    Mais au-delà des anecdotes, une question philosophique demeure active : l’homme peut-il se passer du sacré, et donc d’une religion quelle qu’elle soit ? La majorité des humains aura-t-elle un jour la force de se délivrer de toute superstition sacrée? L’opposition du sacré et du profane n’est-elle pas le modèle de toute hiérarchie des valeurs, du sens des priorités, de l’amour profond et de l’admiration suprême? Et si j’aime profondément quelqu’un ou quelque chose, puis-je éviter de lui attribuer une signification sacrée et de lui vouer un culte, notamment si je me sens menacé de le perdre, à tort ou à raison ?...Il est permis d’en douter, pour de nombreuses et solides raisons.

   Et bien plus, pour ces mêmes raisons, on peut douter qu’il soit philosophiquement souhaitable pour l’homme de se détacher de tout sacré; et peut-être qu’une société qui  cultiverait la volonté d'en finir avec celui-ci ne serait rien d'autre qu'un nouveau fanatisme, si la religion est une pratique justificatrice qui réunit au moins trois dimensions fondamentales de l’existence humaine : le besoin de communauté (sens du présent), la mémoire symbolique (sens du passé) et l’aspiration au salut

(sens de l'avenir).


 

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A
<br /> <br /> J'ose une question :<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pourquoi le besoin de communauté est-il associé au sens du présent ?<br /> <br /> <br /> Je veux dire associé de façon exclusive (et bijective : le sens du présent associé exclusivement au besoin de communauté).<br /> <br /> <br /> N'y a-t-il pas d'autres choses qui peuvent s'y associer (si ce n'est mieux s'y associer) ?<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Bonne question: "et je te remercie de l'avoir posée..."!!!!!!J'y réfléchis une minute...<br /> <br /> <br /> Je crois bien sûr que le présent rassemble les trois aspects dans l'expérience religieuse : désir de communauté physique, de communauté symbolique et de pouvoir croire au salut. <br /> <br /> <br /> Mais en tant qu'une religion est une pratique ( et pas seulement une mémoire et une croyance théoriques abstraites), et qu'elle se réalise dans des usages concrets plus ou moins visibles, je<br /> crois aussi que par rapport au présent, le sentiment d'appartenir à une communauté actuelle (proche ou distante) est le plus important. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />