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 Jazz-rhapsodie pour musique et philo

Penser ce qui devient, déchiffrer les signes, pour résister à la médiocrité nihiliste et produire une jubilation!...

Le problème de la mémoire

Publié le 11 Août 2010 par bernard petit in Vivre et philosopher

 

   

    La mémoire est la puissance du passé. Les souvenirs sont les manifestations de la mémoire, relation du présent au passé opérée par le sujet conscient qui intentionne l’utilisation de ses souvenirs. Mais faut-il vraiment distinguer entre le stockage des souvenirs sous forme de traces cérébrales enregistrées, et le mouvement de remémoration ou de récupération des traces sous forme de souvenirs réactualisés ? N’est-ce pas ici concevoir la mémoire vivante (réelle) sur le modèle des mémoires artificielles (abstraites) où le stockage et l’usage des traces sont réellement distincts ? Y a-t-il du passé parce que nous avons des souvenirs et donc de la mémoire ? Ou bien avons-nous des souvenirs et de la mémoire en vertu de l’existence insistante du passé dans le présent vers le futur?

    La psychologie cognitive et la neurobiologie du cerveau disent que les souvenirs sont engrammés dans le cerveau mais activables par des chemins variables, de telle sorte que si une lésion corticale intervient, un processus de compensation se met en place pour ouvrir un nouveau chemin de la conscience vers la récupération de ses souvenirs.  Mais l’expérience interne nous montre plutôt une fusion permanente entre stockage et récupération, une interpénétration,comme dit Bergson, entre les opérations qui relient les mouvements du présent au passé et les mouvements du passé au présent de futurition. En vérité, le stockage est toujours un mouvement de relations entre le nouveau présent et l’ancien passé, assorti

d’une réorganisation opératoire de la mémoire : quand j’enregistre un souvenir, je modifie le stock. Mais quand j’utilise un souvenir déjà enregistré, cet usage laissa aussi une trace mnésique, qui ne s’ajoute pas simplement au stock mais le transforme : c’est pourquoi les souvenirs, ou connaissances, inutilisés sont plus affaiblis et oubliés que ceux que l’on utilise régulièrement. Il y a un mobilisme et un pragmatisme immanents de la mémoire ; la pensée n’opère pas séparément une mémorisation « gratuite » sans que cet apprentissage ne réponde à une intention, une recherche, une accumulation « au cas où » ; il faut une attention suffisante, qui ne serait pas compréhensible sans une motivation opératoire tournée vers le futur. Le passé intéresse le futur, et cet intérêt ontologique (et même ontique !) est nécessaire pour expliquer l’insistance de la mémoire.

    Bref, les sciences de la mémoire demeurent chosistes lorsqu’elles distinguent d’un côté les traces en stock dans une sorte de magasin de la mémoire, et de l’autre, l’intelligence qui effectue des parcours cérébraux et comportementaux pour récupérer ces traces set les convertir en souvenirs psychiques. Les souvenirs ne sont jamais des traces inertes, mais toujours des opérations, des mouvements de relation entre cheminements anciens qui entretiennent les traces de leurs propres chemins, et cheminements nouveaux qui repassent dans ces chemins en faisant varier leur cours.  Le lit du fleuve ne préexiste pas au passage de ce qui l’a creusé, même si ce n’est pas précisément cette eau… Il n’y a pas d’un côté des traces virtuelles et de l’autre des souvenirs qui les réactivent de temps à autre, mais des mouvements opératoires d’apprentissage et d’usage projectifs de connaissances, qui comportent toujours du passé dans toute ouverture au futur.

     Par ailleurs, la mémoire n’est ni une faculté psychique individuelle ou collective, ni un support passif de stockage de données matérielles et sémiotiques, comme un disque dur d’ordinateur : c’est un système complexe d’interactions entre les activités cérébrales, sensorimotrices, sociales et symboliques des vivants.

 

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E
<br /> <br /> Votre article me donne envie de relire Matière et Mémoire.<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> un grand et beau texte de Bergson: je prends donc votre commentaire comme un compliment et vous en remercie.<br /> <br /> <br /> <br />