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 Jazz-rhapsodie pour musique et philo

Penser ce qui devient, déchiffrer les signes, pour résister à la médiocrité nihiliste et produire une jubilation!...

L’art des titres

Publié le 11 Avril 2010 par bernard petit in Cinéma

 

    Le titre d’une œuvre est souvent un ornement plus ou moins significatif du contenu, encore plus rarement de la forme. On a souvent le sentiment que leur relation est arbitraire, qu’elle s’est imposée du dehors à l’auteur, par hasard, par obligeance ou complaisance ou contrainte de publication. Pourtant ne faut-il pas un titre ? Même cette formule qu’on trouve parfois en musique, en peinture ou en littérature :« Sans titre », c’est encore un titre, qui signale ici la limite de l’arbitraire, de la fantaisie et de la convention dans la communication des œuvres d’art.

    Mais au fond, cette nécessité d’un titre, aussi arbitraire soit-il, est bonne et consubstantielle au travail de l’œuvre. Non seulement parce que le titre constitue l’entrée et l’interface de l’œuvre avec son public,mais parce qu’il enrichit son sens en continuant l’histoire de sa production par celle de sa communication, et donc de ses interprétations.

    Sans doute le titre traduit-il autant le monde auquel il s’adresse que la pensée propre de l’auteur ; et si comme on dit en italien, « Traduttore, traditore ! »(traduire, c’est trahir), on peut ajouter que traduire, c’est aussi créer du texte et du sens, car aucune traduction n’est donnée, dans aucun texte ni  dans aucune langue particulière, comme une propriété immanente endormie, que le traducteur ne ferait que réveiller ; et en traduisant l’œuvre,le titre prolonge le geste créateur en baptisant la créature.

     Dans la Genèse biblique, c’est l’Eternel qui nomme sa création le 6e jour ; c’est la Mère qui donne un nom à son nouveau-né ; mais au fond cette nomination, cet intitulé, ce baptême ont en commun le geste de la livraison de la créature au monde, une destination au monde qui signale aussi l’abandon de fait d’une partie des «droits » de l’auteur sur sa créature : on ne crée pas un individu pour le maintenir en fusion avec soi. Individuation et création vont de pair, et une création est toujours une double individuation : celle du créant et celle du créé. Ainsi le titre est un rouage de transmission qui facilite la connexion de deux opérations hétérogènes : la fécondation immanente d’un individu par un autre (sorte de scissiparité), et l’accueil de ce nouveau né par la communauté humaine, en même temps que la reconnaissance de son auteur. Aussi le titre marque-t-il la « re-co-naissance » de deux individus et de deux directions du temps : pour l’auteur, le passé ; pour l’œuvre,le futur.

 

 

 

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